La loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » entrée en vigueur le 1er novembre 2017 vise à pérenniser l’état d’urgence en le gravant dans le marbre du droit commun. Aucune évaluation de l’arsenal antiterroriste existant, déjà exorbitant, n’aura précédé le dépôt de ce texte, qui vient s’ajouter à l’empilement des lois antiterroristes. L’ampleur de la menace terroriste n’est évidemment pas contestée, c’est la nécessité de légiférer à nouveau qui l’est, a fortiori dans le cadre d’une procédure accélérée.
Dès 1978, la Cour européenne des droits de l’Homme alertait en des termes solennels les États : « Consciente du danger, inhérent à pareille loi, de saper, voire de détruire, la démocratie au motif de la défendre, elle affirme qu’ils [les États] ne sauraient prendre, au nom de la lutte contre l’espionnage et le terrorisme, n’importe quelle mesure jugée par eux appropriée. » Ce texte ne sera de nulle efficacité contre le terrorisme mais heurte violemment les droits et les libertés qui sont au fondement de notre démocratie. Notre droit pénal donne déjà à la police et aux juges des moyens hautement dérogatoires pour identifier, interpeller sans délai et juger les auteur-e-s d’actes de terrorisme, commis ou en préparation.
Alors qu’Emmanuel Macron prétendait vouloir sortir de l’état d’urgence au 1er novembre, force est de constater qu’avec cette loi, les perquisitions et assignations administratives, mesures phares de l’état d’urgence, aussi inefficaces qu’excessives, ont beau avoir changé d’intitulé, elles n’ont pas disparu. Elles sont pérennisées ; les assigné-e-s et perquisitionné-e-s de l’état d’urgence sont devenus les assigné-e-s et perquisitionné-e-s de la loi antiterroriste.
En prétendant aujourd’hui « réserver aux seul-e-s terroristes » ces mesures, le gouvernement reconnaît en creux l’usage arbitraire et dévoyé de l’état d’urgence utilisé dans le cadre de missions de maintien de l’ordre durant les mouvements sociaux (COP21, Loi travail, etc.) ainsi que pour stigmatiser les personnes de confession musulmane ou supposée telles. Surtout, il formule une présentation trompeuse : les mesures de perquisition et d’assignation ne visent pas des « terroristes », c’est à dire des personnes auxquelles un crime ou un délit est reproché, mais des personnes à peine suspectes à raison de leurs fréquentations ou de leurs idées. Quant aux autres mesures de contrôles d’identité, de fouille dans l’espace public ou de fermeture de lieux de cultes, elles sont imposées à tou-te-s.
Ce projet de loi antiterroriste normalise la logique du soupçon. L’objectif fondamental, subjectif et donc potentiellement arbitraire, demeure la neutralisation d’individus dont on pourrait anticiper les « comportements non conformes » et la « radicalisation » supposée. Le texte de loi pérennise ainsi des dispositifs qui accuseront les personnes sur la base de critères flous (notamment d’appartenance à l’entourage de personnes ou d’organisations, l’adhésion, même privée, à des idées ou doctrines religieuses…) et bien en amont de toute preuve de la préparation ou de la commission d’un acte de terrorisme, laquelle, rappelons-le, était déjà pénalement sanctionnée avant l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi. La nature de la contrainte demeure elle aussi inchangée. Le contrôle par un juge, fût-il judiciaire ne sera pas effectif. Pour les perquisitions, il interviendra certes a priori, mais son contrôle sera par nature vicié. En effet, il aura pour base, non pas des infractions pénales précisément définies mais les critères vagues précités, et ne se fera pas sur la base de procédures d’enquêtes détaillées mais de notes blanches des services de renseignements ne contenant que des affirmations non étayées. L’ineffectivité globale du contrôle juridictionnel sous l’état d’urgence en a fourni la preuve.
Entre l’état d’urgence que l’on vient, soi-disant de quitter, et l’état de soupçon permanent dans lequel nous venons d’entrer, il n’y a pas de différence de nature. Tandis que l’état d’urgence se voulait temporaire et ses mesures exceptionnelles, les fouilles indifférenciées, les assignations à résidence et les perquisitions (renommées « visites domiciliaires ») de la loi antiterroriste sont devenues permanentes. Les atteintes aux libertés d’aller et de venir, de se réunir et de manifester, la stigmatisation des personnes de confession musulmane ou supposées telles, et avec elles, la division de la société, ont pris, elles aussi, un tour permanent. Prévoir une durée limitée dans le temps – jusqu’en 2020 – des seuls articles concernant les mesures individuelles ne donne aucune garantie sur le fait que ces mesures qui heurtent l’État de droit disparaîtront de la loi. Ne vous y trompez pas, l’effet de cliquet propre aux législations antiterroristes opérera avec ce texte comme avec l’ensemble des textes accumulés ces dernières années, adoptés presque sans débat.
Les attentats terroristes attaquent nos valeurs, or de telles mesures sécuritaires affaiblissent notre État de droit au lieu de défendre la démocratie.
C’est à vous que revient désormais, en tant que citoyennes et des citoyens, de vous mobiliser pour dénoncer une société de soupçon généralisé dans laquelle les droits et les libertés fondamentales sont bafoués, sur la base de critères flous et sans effet réel sur la sécurité, et de réclamer une société respectueuse des droits de l’Homme et des libertés publiques au sein de laquelle chacun-e est soumis-e au même droit.